Les Frères Serpollet sont nés et ont travaillé à Culoz : Henri, le plus âgé (1848-1915) et Léon, de 11 ans son cadet (1859-1907), pionniers de l’automobile, fils d’Auguste Serpollet, artisan menuisier à Culoz.
Les premiers, les frères Serpollet ont réussi à faire qu’un véhicule utilisable, à la dimension de l’individu, puisse se mouvoir sur une route par ses propres moyens.
L’invention est venue d’abord de la volonté d’Henri de construire un moteur pouvant faciliter et accélérer le travail à la menuiserie de son père, recherche à laquelle participa son jeune frère Léon. C’est Henri qui eut l’idée d’utiliser la vapeur et trouva le principe du « générateur à vaporisation instantanée », c’est-à-dire une machine sans chaudière utilisant seulement la vaporisation. Les deux frères construisirent cette machine dans la forge du village, d’où sortit le premier tricycle à vapeur, en 1875.
Le maître d’école de Culoz consulte alors un ingénieur-conseil, Casalonga, qui les aide à obtenir un premier brevet le 25 octobre 1879.
En 1880, Léon estime indispensable sa présence à Paris : il faut perfectionner la construction de la machine, acquérir de nouvelles connaissances en mécanique et en électricité, lancer l’affaire sur le plan industriel et commercial.
Pour vivre, Léon s’engage comme menuisier chez l’entrepreneur Haquin, le soir. Il suit, au Conservatoire National des Arts et Métiers, les cours de Tresca et de Becquerel, la nuit il réalise avec un matériel de fortune, « le 1er appareil complet, générateur et machine à vapeur ».
Entre Léon et Henri, resté à Culoz, s’établit – par correspondance – une collaboration incessante pour la recherche des améliorations à apporter à « l’invention commune » : 600 lettres échangées en 25 ans.
En 1886, les 2 frères arrivent à la solution définitive du générateur à vaporisation instantanée : « un serpentin métallique épais et creux, écrasé à tel point que la cavité fut réduite à un volume extrêmement faible, les parois de cette cavité se touchant presque. Une pompe envoyait régulièrement dans ce serpentin une lame d’eau qui ne créait aucun danger d’explosion, et cependant, au contact de parois extrêmement chaudes – puisque ce serpentin était en plein feu permanent – se vaporisait avec une extrême rapidité et sous une tension élevée. »
La question financière se résout en 1887, lorsque, par l’intermédiaire du père d’un ami qui est architecte, ils rencontrent un homme d’affaires : Larsonneau, qui fait signer aux 2 frères l’acte de Société en nom collectif avec la raison sociale « Serpollet & Cie ». Larsonneau met à la disposition de la Société, l’usine qu’il possède rue des Cloys, sur le flanc nord de la Butte Montmartre.
Dans ses nouvelles fonctions de Directeur Technique, Léon Serpollet peut mettre en œuvre toutes les connaissances acquises les années précédentes, il entre dans le monde des affaires.
En 1887, la « Machine Serpollet » permet l’éclairage électrique domestique, elle équipe des stations de pompage ainsi que de petites usines. Elle ressemble à un petit poêle de 55 cm de haut pour un diamètre de 45 cm, muni de 2 tuyaux assez courts, l’un vertical, l’autre horizontal, « générateur de force de 1/2 cheval à 3 chevaux ».
Quelques mois plus tard, ce même générateur actionne des canots à vapeur ainsi que des tricycles. Car Léon Serpollet s’intéresse par-dessus tout à l’application du générateur aux moyens de locomotion, en particulier à l’engin « automobile » sur route, la réplique du tricycle de Culoz. Il travaille à en construire un second, d’un poids de 300 kg. Le succès est total.
L’Administration s’inquiète alors de ces générateurs et l’Ingénieur en Chef des Mines vient enquêter. Après des essais, le tricycle obtient l’autorisation spéciale de circuler dans les rues de Paris.
Le Monde savant ainsi que le monde industriel suivent à leur tour avec intérêt, les différentes applications de la machine Serpollet.
Avec l’appui de sociétés publiques et privées, une seconde société se substitue à la première, c’est la « Société Anonyme des Générateurs à vaporisation instantanée Serpollet, au capital de 1 500 000 F ». Léon Serpollet demeure Directeur Technique. Commencent alors les belles années…
En 1889, l’Exposition Universelle permet à Léon Serpollet de mieux faire connaître l’invention et l’entreprise. La même année, Léon passe son permis de conduire, le premier à être délivré par le Service des Mines.
Un 3ème type de véhicule est construit dans les usines Peugeot d’Audincourt, auquel on peut donner le nom de voiture car il est muni de vrais sièges avec coussins, de roues arrières – copiées sur les roues de charrette – avec des bandages en fer et munies de garde-boue.
La même année, « Les Chantiers de la Buire » se mettent à construire en série l’automobile des Frères Serpollet et Léon réalise le voyage Lyon-Culoz : il prend son frère Henri et son neveu Auguste à la gare de Rossillon et tous 3 font leur entrée à Culoz. L’arrivée dans la ville natale est triomphale : le Maire M. BARBIER est là, entouré de son Conseil municipal, pour recevoir les voyageurs. Tout le monde se presse pour voir et toucher la voiture, questionner Henri et Léon et les féliciter. Cependant, la visite est décevante pour plus d’un qui avaient espéré que d’importantes usines de construction allaient être installées à Culoz et tinrent rigueur à Léon Serpollet de ne pas les avoir créées.
En 1890, Léon décide de se rendre de Paris à Lyon : les incidents mécaniques et les réparations improvisées émaillent ce voyage de 500 kms, qui dura 10 jours, à une vitesse moyenne de 3,5 km/h. Et c’est par le train que voiture, conducteur et passager regagnent Paris.
Les commandes affluent, de nouveaux modèles apparaissent : le « cab Serpollet modèle 1893 » possède un toit qui abrite les passagers, les roues sont de dimension raisonnable avec 2 plus petites à l’avant. Serpollet construit des poids lours dont un fourgon pour l’artillerie.
En 1895, Léon Serpollet a orienté ses recherches vers d’autres moyens de locomotion : le tramway, le chemin de fer. En effet, après de nouvelles améliorations, la machine Serpollet est devenue « le système Serpollet » : l’emploi, dans le générateur, de tubes en C renversés ou en gouttière, permet d’atteindre 75 chevaux – contre 4 ou 5 au départ. Pour le carburant, on utilise le
pétrole lampant, meilleur marché que l’essence.
Pour répondre à une demande toujours croissante, de grands industriels participent à l’augmentation du capital de la Société Serpollet. Léon Serpollet est à l’apogée de sa carrière : à 40 ans, il est devenu une personnalité aux côtés « des personnalités les plus marquantes de la Grande Industrie et de la Finance ». Son nom, synonyme d’un nouveau moyen de locomotion, est connu dans le monde entier : on dit Serpollet comme aujourd’hui Citroën, Peugeot ou Renault.
Dès 1896, il est membre du « Comité de l’Automobile Club de France », fondé l’année précédente par les pionniers des Temps Héroïques de l’automobile.
Cependant, le déclin va arriver…
A l’époque, une lutte oppose les partisans du générateur à vapeur, du moteur électrique et du moteur à explosion.
Dans son atelier de modélisme, Léon a souvent eu l’occasion de travailler sur des modèles de moteur électrique ou à explosion. Pourtant, malgré les conseils de ses amis qui le pressent de se reconvertir dans la fabrication du moteur à explosion, qui a de nombreux avantages par rapport au générateur à vapeur Serpollet (absence de foyer, poids réduit, départ instantané, alors que la chaudière est plus encombrante, plus lente à mettre sous pression), Léon Serpollet répond toujours : « rien ne détrônera la vapeur ».
Cependant, les tramways s’électrifient, les commandes s’espacent, il en va de même pour les automotrices sur voie ferrée.
Les actions de la Société baissent et certains associés abandonnent Serpollet.
En 1899, Léon Serpollet s’associe avec GARDNER, un financier américain, aussi riche qu’éclairé. La « Société GARDNER-SERPOLLET » se spécialise dans l’automobile.
On construit des usines équipées de tous les perfectionnements de l’époque.
Léon amène alors son système au plus haut point de perfectionnement technique, ayant obtenu l’asservissement total de la vapeur, le contrôle permanent du moteur, donc la possibilité de lutter contre le moteur à pétrole dans les poids légers et moyens, avec des atouts de 1er instantanéité.
En 1900, l’Exposition Universelle est pour Léon Serpollet un triomphe personnel : la Société Gardner-Serpollet obtient la Médaille d’or et Léon Serpollet, la Croix de la Légion d’honneur.
Gardner-Serpollet offre alors toute une gamme de modèles de voiture. Ces voitures, dont la machine était entièrement dissimulée sous le siège, étaient équipées de roues « à bandages pneumatiques », ces « boudins remplis d’air » expérimentés par Michelin en 1895. Elles ont un très grand succès auprès de la Haute Société de la Belley Époque et remplace peu à peu les brillants équipages.
En avril 1901, au cours de la 1ère coupe Rothschild, course au kilomètre lancé, coureur à Nice, Léon Serpollet atteignit pour la première fois la vitesse de 100km/h sur un km. Le 13 avril 1902, lors de la 2ème coupe, courue sur la promenade des anglais, Léon Serpollet dépassa sa propre performance : pour la première fois, au milieu de l’enthousiasme général, il couvrit le kilomètre en dépassant les 120km/h.
La date mémorable de ce record mondial détenu pendant quelques mois, ainsi que la voiture qui avait permis de l’obtenir, furent choisies pour figurer au verso de la médaille commémorative, frappée par la Monnaie de Paris, dédiée à Léon Serpollet. Cette voiture fut surnommée « l’œuf de Pâques », autant pour sa forme aérodynamique que la date de l’épreuve.
Cependant, en 1905, le moteur à explosion avait conquis l’automobile et la concurrence des voitures à essence était telle que Gardner-Serpollet ne livrait plus une seule de ses automobiles à vapeur. En 1906, Gardner se retira et céda ses actions à Darracq, constructeur de voitures très novateur.
Darracq envisageait de spécialiser le système Serpollet au véhicule industriel. Une nouvelle usine est mise en chantier pour la construction de ces poids lourds Darracq-Serpollet, omnibus et camions, qui atteignent de hautes performances en fonctionnant au pétrole lourd lampant, d’un prix bien inférieur à celui de l’essence et non inflammable. Cette nouvelle association est donc un succès.
Cependant, surmené et atteint d’un cancer, Léon Serpollet mourut en 1907. Son frère Henri, inventeur de la vaporisation instantanée et de son application, vivant à Culoz, loin des milieux automobiles parisiens, dont il avait été peu connu, fut vite oublié : son nom ne fut même pas cité parmi ceux des parents venus assister aux obsèques de Léon. Henry vécut jusqu’en 1915 assez pour assister au succès définitif du moteur à explosion devant lequel la chaudière à vaporisation instantanée avait dû s’effacer.
La première voiture Serpollet, construite en 1931, entra au conservatoire des Arts et Métiers.
Le 26 juillet 1981, le Syndicat d’initiative de Culoz a inauguré une fresque à la mémoire des Frères Serpollet, située place de l’Eglise.